Bilan semaine du 1er février

Jeudi 04/02

Rien de particulier, une journée classique.

J’ai donné une évaluation de conjugaison sur les verbes être et avoir, ainsi que les verbes du premier groupe. Une élève m’a écrit sur l’évaluation qu’elle est moche… On répond que non ! Voici les résultats, sur un barême de A = acquis à D = non acquis.

Sur 20 élèves avec deux critères (être et avoir + premier groupe) : 11 A, 11 B, 7 C, 10 D.

1/4 très bien, 1/2 moyen, 1/4 à chier. Encore du boulot. L’évaluation en elle-même était pas très compliquée mais pas super simple non plus, un niveau de CE1 classique, un peu tiré vers le haut.

J’ai continué avec de la numération, la décomposition de nombres, du type 845 = 800 + 40 + 5, dans un sens ou dans l’autre. C’était pas trop mal, ils semblent avoir compris. Un début de multiplication aussi, avec le principe des additions réitérées.

Reprise de la conjugaison, avec les verbes faire, aller, dire, venir. C’est compliqué… M’enfin vu les résultats de l’évaluation du dessus, je ne m’attends pas à des miracles. On n’est qu’en CE1, et des élèves sont déjà très, très en retard… Ils n’apprennent pas leurs leçons. Je m’énerve à chaque fois, sur l’évaluation j’écris bien gros qu’il faut apprendre ses leçons, les parents signent, et les leçons ne sont jamais sues. Je ne sais pas si les parents imaginent que les enfants sont suffisamment autonomes pour apprendre leurs leçons seuls, mais ce n’est pas le cas. Il FAUT que les parents fassent travailler leurs enfants, surtout en primaire, où on apprend toutes les bases… Mais c’est sûr, ça demande du temps et des efforts, voire des conflits. Il est bien moins grave d’avoir des mauvaises notes au collège/lycée qu’en primaire, on apprend que des choses qui serviront toute la vie : compter, se servir de la monnaie, écrire, etc…

Bref après je leur ai fait réécrire une ancienne production d’écrit qui a été corrigée. Ils doivent l’écrire sans erreurs maintenant.

L’après midi, on a commencé une nouvelle lecture, une pièce de théâtre. En devoirs je leur ai demandé de bien savoir lire cette page du livre, demain on va essayer de jouer la pièce !

J’ai beaucoup joué au flic aujourd’hui, c’était pénible. Ils étaient très excités parce qu’il y avait des moules et des frites à la cantine… C’était difficilement gérable.

J’ai envoyé L chez la directrice, quand un a crié que L lui avait fait un bras d’honneur. Enfin « j’ai envoyé », je demande à une collègue de surveiller ma classe en plus de la sienne, et je descends avec l’élève. Je remonte, reprends mon cours, puis la directrice revient avec l’élève en question, et demande à voir l’élève qui a dénoncé. Finalement ce dernier a raconté n’importe quoi, L n’a pas fait de bras d’honneur… J’ai perdu du temps, j’en ai fait perdre à la collègue, à la directrice, parce qu’un élève raconte des conneries. On fait la chasse, il ne faut pas raconter des bêtises, blabla.

Là, à l’instant où j’écris cet article, j’entends que ça gueule dans la classe d’à côté, un peu fort et dans un sens unique, contre la prof. Bref je vais voir, une mère complètement excitée contre la prof à lui parler comme une merde, parce que son gamin a perdu les mots de la dictée et la prof ne veut pas lui donner (parce que d’une le gamin n’a pas à les perdre et de deux elle ne les a pas, ça fait une semaine que ça a été donné et la mère s’en inquiète la veille). J’ai été obligé de lui montrer que j’étais là, de lui demander de baisser le ton, de la manière la plus polie du monde. Elle est partie en gueulant, les profs sont des incapables fainéants, blabla le discours habituel. La collègue a bien flippé mine de rien, elle s’est mise à pleurer, on se retrouve à réconforter les collègues. C’est jamais évident ces situations, on a beau savoir que les collègues ne vont pas nous juger parce qu’ils comprennent bien, ça la fout toujours mal. Donc on rassure, on explique qu’elle a bien agit, on ne juge pas, et ça va mieux ensuite. Que c’est une bonne prof, etc. Elle s’est quand même barrée alors que d’habitude elle reste plus longtemps dans l’école.

Le plan vigipirate a été renforcé. En interne, on a encore régulièrement des mails et messages anonymes sur l’école pour dire qu’elle va péter, qu’il va y avoir des morts, etc. Je pense que c’est classique, toutes les écoles doivent en recevoir. J’étais un peu inquiet je dois avouer, mais une prof a eu le mot juste : ils vont pas tuer les profs sinon ils devraient garder leurs gamins la journée. Mais du coup on a quand même des formations, sur comment appeler la police, où se confiner, et attention, comment contrôler un terroriste. Cela me fait doucement rire, car je ne pense pas que je jouerai au héros, m’enfin je ne peux pas trop savoir à l’avance. Par contre ce qu’il me fait plus chier, c’est que maintenant l’école est fermée à clé constamment, et évidemment je ne peux pas avoir les clés. Donc le matin je ne peux pas ouvrir quand j’arrive, et le soir je ne peux pas partir. Super. Mais en tout cas tout le monde est d’accord pour dire qu’une école va quand même servir d’exemple, tout le monde s’y attend, et ça arrivera sur l’école « la moins sécurisée », celle avec la plus grande faille. Donc on attend en espérant que ça ne tombe pas sur la notre. En tout cas tout le monde continue à venir travailler, et heureusement. Quoi qu’il en soit, en interne ça flippe pas mal, ça prend les menaces au sérieux.

Ha oui, j’ai fait APC à midi, des aides complémentaires. Sur les angles droits cette fois-ci, c’est toujours aussi compliqué pour les élèves. Je pensais qu’une séance suffirait, mais je vais devoir en rajouter je pense. Ils ont beaucoup de mal à visualiser ce qu’est un angle droit, et comment placer le gabarit « à l’intérieur de l’angle ». Les angles droits et l’apprentissage de l’heure sont les choses les plus compliquées que j’ai eu à expliquer cette année.

J’avais récupéré un livre sympa à leur lire, mais ils étaient trop pénibles. J’ai perdu trop de temps à les reprendre, donc je n’ai pas eu le temps. Peut être demain. Là tous les collègues font de l’aide au devoir, donc de 16h à 17h environ. Je n’en fait pas car le groupe blog que je tiens le vendredi soir remplace, c’est cool. J’en parlerai sûrement dans un prochain article, mais je ne suis pas un féru des devoirs, j’en donne relativement peu, je ne sais pas si c’est un tort, mais je me dis qu’ils sont enfants et ont encore le temps de s’amuser, qu’ils en profitent. En tout cas les devoirs écrits sont interdits, depuis très longtemps, genre 1950. Je sais que beaucoup de profs en donnent malgré tout, mais bon, si c’est interdit, je n’en donne pas. Seuls les devoirs « à l’oral » sont autorisés, apprentissage de leçons, etc.

Pendant la récréation du matin, une maitresse a chopé une élève de ma classe avec une belle prose, destinée à un autre élève de ma classe. Elle a fait un tour chez la directrice. J’ai vraiment été déçu de cette élève, car jamais je ne l’aurais imaginé capable de telles horreurs. Comme quoi.

Voilà quand même l’oeuvre d’art :

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Mine de rien ça termine dans le dossier scolaire ce genre de choses.

Pour finir cette journée, un dessin d’élève :)

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Vendredi 05/02

Journée éprouvante. Ils étaient fatigués, excités, sur les nerfs.

On a mis en place la petite pièce de théâtre, j’ai du l’arrêter avant la fin tellement les spectateurs étaient incapables de se concentrer. De manière générale, personne ne se supportait aujourd’hui.

J’ai mis en place récemment les « messages clairs ». En cas de soucis entre deux élèves, ils peuvent aller résoudre leur problème entre eux, suivant une procédure définie en 4 étapes : viens, j’ai un message clair à te faire ; voilà le problème ; cela m’a fait ça, ça ou ça, j’ai ressenti ça, ça ou ça ; j’attends réparation de la manière suivante. C’est censé m’éviter de devoir toujours jouer au médiateur. Il faut savoir qu’avec des enfants, vous êtes sans cesse interpellé. « Maître, machin a fait ça », « Maître, j’ai terminé », « Maître, j’ai pas compris », « Maître, il m’a fait un bras d’honneur/insulté, traité de moche », « Maître je peux aller faire pipi », « Maître je peux prendre un mouchoir », « Maître maître maître »… C’est très fatiguant. L’avantage c’est que les journées passent très vite, vous oubliez tous vos problèmes personnels. Le problème, c’est qu’on se vide sans s’en rendre compte, et qu’à la fin de la journée vous avez littéralement la sensation d’être bourré. Être prof (en primaire en tout cas), c’est un métier qui fait planer, mais vraiment. Après la classe, vous avez besoin d’un moment de répit, un moment où il ne se passe plus rien, où les collègues ne viennent pas vous embêter, où vous n’embêtez pas les collègues. « Coucou K, oui prends ton cahier dans ton casier que tu as oublié, à demain ». Vous regardez votre classe, vide, les chaises sur les tables. Vous regardez votre tableau, vous le trouvez très sale, on a bien écrit aujourd’hui. À ce moment là, je sais que j’aime bien écouter de la musique, souvent de la musique classique, mais ça peut varier. J’ai installé de super enceintes dans la classe, donc c’est le moment orchestre/opéra, des fois électro avec le groupe Infected Mushroom. Ou complètement autre chose.

Ha, les champignons…

Ensuite, on corrige ses copies, cahiers, on range, on a encore le cerveau en ébullition, on en profite pour brièvement écrire son cahier journal pour les prochains jours, j’en parlerai mieux un jour, mais en gros c’est l’organisation de la classe, journée par journée. Pendant la journée, pendant qu’on faisait cours, on a plein d’idées qui arrivent, suivant la réaction des élèves. Donc on écrit tout ça, avant d’oublier. Là je sais déjà ce que je vais faire la semaine prochaine, il faudra juste pousser la réflexion un peu plus loin, au calme chez soi. C’est un métier qui ne s’arrête jamais. Vous pensez toujours à vos élèves, à ce que vous allez leur proposer. Vous réfléchissez toujours, à la fin de la journée, sur ce qui a marché, pas marché, et surtout pourquoi.

Je crois que ce métier est un sacrifice de soi-même. On sacrifie de sa personne, pour les enfants. Pour leur donner l’éducation que les parents ne leur donnent pas. Pour leur apprendre des valeurs essentielles, comme la curiosité, le respect, apprendre à être un citoyen qui votera dans 10 ans. Leur apprendre à être critique. On fait des heures pas possible, on perd de notre temps, de notre vie, de notre énergie, pour ces enfants. On est mal payé, on n’a pas de 13è voire de 14è mois, pas de tickets restaurant, pas d’avantages quelconques*. On n’a même pas le droit de manger à la cantine, on doit faire notre repas. On fait vraiment ce métier par principe, un peu à la manière des flics ou des pompiers je pense. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on risque notre vie comme un pompier ou flic, mais on se fait régulièrement agressé par des parents tarés, n’ayons pas peur des mots. On espère qu’ils ne vont pas sortir un couteau. On laisse la porte ouverte de nos classes pendant les entretiens. On doit gérer des parents qui refusent leur part de responsabilité dans l’échec de l’éducation de leur enfant, et reportent le problème sur les profs, c’est tellement plus simple. Et cela arrive tous les jours. On reçoit des menaces (allant du « mon mari avec tous ses potes vont venir te péter la gueule », à « si je te croise dans la rue je te défonce/t’écrase » et autres joyeusetés, à « je vais faire sauter l’école »). On fait avec. Moi je gère globalement bien ces menaces, peut être qu’un jour cela changera, mais certains collègues beaucoup moins. Une maîtresse pleurait encore aujourd’hui quand elle nous dit qu’elle voit des fois le papa de machin quand elle fait ses courses, qu’elle va aller faire ses courses ailleurs, etc. Heureusement, y’a quand même quelques parents géniaux, mais ils sont toujours trop rares.

* J’entends d’ici qu’on a les vacances. Sachez que les vacances ne sont pas un luxe, mais un besoin. Aucun prof ne pourrait tenir sans ces vacances, absolument aucun.

Quand je dis qu’on leur apprend à devenir citoyen, j’ai eu un exemple concret ce matin, en lutte. Je demande aux élèves de se mettre en file indienne, une de chaque côté du tapis. C’est toujours amusant ces moments, car au lieu d’une seule file, vous en avez toujours deux ou trois. Donc des élèves doivent accepter de se mettre derrière, les « chefs » de files commencent à se défier, vous vous observez pour voir comment cela va se passer. Qui va être le chef des chefs. Ceux qui sont plus malins ont compris à quel endroit je veux la file, et se sont placés directement au bon endroit. C’est l’argument d’autorité qu’ils sortent ensuite : « le maître il veut la file ici ». Et là, j’ai deux élèves qui se bagarrent la place dans la file. Chacun veut être devant l’autre. Vous observez, et vous hallucinez de voir à quelle vitesse ils pourraient s’entretuer si vous ne disiez rien. En une quarantaine de secondes, ils en venaient déjà aux mains. Vous laissez un peu faire, vous observez, vous analysez vos deux élèves. Là, quand ça devient vraiment n’importe quoi et que la haine commence vraiment à monter, vous stoppez tout. Vous demandez ce qu’il se passe. Retour dans le réel pour les deux élèves. Les autres élèves se taisent complètement, ils sortent les pop corns. Ils savent qu’à ce moment là, il faut se faire oublier, et prennent du plaisir à voir les deux élèves qui vont se faire dégommer. Là, pour vous, deux solutions : soit je les engueule, je les punis, et ils n’auront rien compris et cela recommencera, soit je prends 5min sur ma séance d’EPS, et j’en profite pour faire un peu d’éducation civique pour tout le monde. J’ai opté pour la deuxième solution. On explique qu’adulte, on ne peut pas se battre avec les gens. Que tous les jours, des gens vont nous énerver, vouloir prendre notre place, nous doubler. Que ce soit pour acheter du pain, faire la queue à la caisse, ou en voiture. On leur demande ce qu’il faut faire : s’entretuer ? Discuter ? Des doigts se lèvent, on lance le débat. On conclue en expliquant que si réellement la personne ne lâche pas l’affaire, c’est à nous de lâcher l’affaire, d’être plus intelligent que l’autre personne. Que ce n’est pas parce qu’on laisse sa place qu’on a perdu. Au contraire, on a gagné, on est plus intelligent. Là y’a toujours un élève qui va lever le doigt pour confirmer, « oui ma maman c’est ce qu’elle a fait quand blabla ». Un argument de plus pour mon discours. On demande ensuite aux deux élèves comment ils vont régler leur affaire : vous allez vous re-battre ? vous allez vous laisser la place mutuellement ? Ou alors aller au fond de la file ensemble ? Un élève n’a pas voulu laisser sa place, il n’a rien compris, tandis que l’autre a accepté d’aller au fond. Je l’ai félicité. Une demi-victoire pour ma part, mais une demie-victoire quand même. Peut-être que cela aura fait réfléchir d’autres élèves qui étaient spectateurs. C’est ça, notre métier, au fond : planter des graines, qui, on l’espère, germeront un jour. Mais elles ne peuvent malheureusement pas germer chez tout le monde. L’élève qui n’a pas voulu laisser sa place est celui qui est battu par ses parents à coups de câble. Lien de cause à effet ?

L’après midi j’ai repris l’histoire en anglais de la chasse à l’ours, avec la vidéo toujours. Ils aiment toujours autant :) Cette fois j’avais récupéré le livre (toujours en anglais), j’ai pu leur montrer les images, faire passer le livre entre eux. La fin de la journée arrivait, tout le monde en avait un peu marre de travailler, j’avais prévu de leur montrer les nouvelles photos de la Lune. Ils ont adoré, on a pu en discuter. J’ai enchaîné avec 15/20 minutes de réponses à leurs questions. J’aime ce moment. Ce n’est pas inclus dans les programmes, mais les élèves ont des tas de questions. J’ai de la chance, je connais mine de rien pas mal de trucs, j’ai globalement toujours la réponse. On peut partir dans n’importe quoi, les questions sont libres. Photos de la Lune oblige, les questions étaient tournées globalement vers l’Espace. Un élève a voulu voir le décollage d’une fusée. Partage de connexion sur le téléphone, Youtube, une chouette vidéo. Une élève s’est mise à pleurer. Je lui demande ce qui lui arrive « Maître, j’avais jamais vu de fusée décoller, c’est super impressionnant et beau, je suis trop contente d’avoir vu ça, on peut en voir encore ? ». Et là, vous vous dites quand même que vous faites le plus beau métier du monde.

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Dave & Ava

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2 comments

  1. Très beau et très émouvant, ça me rappelle des souvenirs tout ça… :)
    Un boulot prenant mais intéressant, la réflexion n’est pas donnée à tout le monde (il n’y a qu’à voir la réaction de certains parents…), souviens toi des jobs à la con en été… Prof c’est un métier à vocation, comme chercheur, pompier, policier, etc., on fait ça parce qu’on aime.

  2. Ha ouais mais clair, moi j’ai clairement trouvé un truc qui me plait grave ! C’est la première fois de ma vie que je suis content d’aller au travail :D

    Le problème de prof c’est que beaucoup de personnes pensent que c’est un métier de planqué, pas trop fatiguant, où on fait que 24h par semaine, plein de vacances. Donc ça attire pas mal de touristes, ou sans aller jusque là des gens qui comprennent un peu tard la réalité du métier et toutes ses implications.

    Je sais que dans mon cas j’avais pas mal réfléchi à tout ça avant, et avoir des profs dans la famille ça doit aider à se faire une image juste du métier.

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